BIBIE

 

Nous étions en pleine campagne de promotion du métro dans le service marketing des transports en commun de Lille. Fiers de promouvoir l'image du premier métro entièrement automatique au monde, nous saisissions chaque occasion pour en parler ou pour le faire visiter. Au soir de la fête de la musique de cette année 1985, nous devions accueillir une quarantaine d’artistes pour un concert en centre ville. Nous avions alors entrepris de les escorter en métro, très pratique pour éviter la foule et déboucher directement en plein centre. C’était bibi qui était de service pour cette mission. C’est-à-dire moi-même et non pas Bibie, la chanteuse de « tout doucement » dont il est question dans cette chronique.

 

Dans le cortège, il y avait de nombreux artistes qui ont marqué la chanson française des années quatre-vingt, mais, à part Nicoletta qui était très active dans le groupe, je n'ai pas retenu les autres noms. J’avais fait réserver une rame pour nos quarante invités et je les avais accompagnés, comme un guide, tout en leur vantant les atouts technologiques du métro lillois et en attirant leur attention sur les détails architecturaux des différentes stations. Bibie, au sommet du hit-parade à l’époque, était la plus proche de moi. Elle semblait très douce, gentille et suivait mes commentaires avec une grande attention.

 

Arrivés à une station, Bibie avait allumé une cigarette. Bien que l’on pouvait fumer dans les lieux publics à l'époque, il était formellement interdit de fumer dans les rames de métro. C’était, je pense, le premier lieu public de la métropole où cette interdiction avait été mise en place dès le départ. Étant moi-même fumeur, je pouvais comprendre l’impulsion de Bibie, mais je me sentais le devoir de lui faire écraser sa cigarette. Ce que je lui avais demandé aussitôt, sous peine de ne pas monter dans la rame de métro. J’avoue ne pas avoir été discret sur ma requête, cherchant certainement à sensibiliser tous les membres du groupe sur la question. Certains m’avaient d’ailleurs fusillé du regard et l’agent de Bibie avait surgi de la mêlée en vociférant comme quoi c’est à une grande star que je m’adressais et que je devais absolument faire exception. J’avais senti qu’il voulait m’impressionner, mais je n’avais pas cédé. Je me souviens avoir répondu en m’adressant à l’artiste « Désolé Bibie, mais c’est le règlement ! ». Elle avait écrasé gentiment sa cigarette et je me suis rendu compte que, finalement, elle était restée très zen pour cet incident qui la concernait directement. Pendant tout le trajet, je me suis assis à côté d’elle et nous avions échangé sur un tas de sujets, impossibles à restituer, tellement cette histoire me semble bien lointaine aujourd'hui. Mais c'était une façon de partager avec elle un calumet de la paix.